#1 Aïcha Ech-Channa

Fondatrice et Présidente de l’association Solidarité Féminine
Lieu: Casablanca (Maroc)
C’est dans son bureau à Casablanca, qu’Aicha Ech-Chenna, fondatrice et présidente de l’association Solidarité Féminine au Maroc me reçoit. L’année 2014 célèbre sa 55éme année d’investissement au sein de la société marocaine, société qu’elle a accompagné dans son évolution en consacrant sa carrière au combat des mères célibataires et de leurs enfants au Maroc. Celle que l’on surnomme la Mère Theresa des marocains revient de façon très humble sur son parcours et son combat dans une société conservatrice et traditionnelle, où le sujet est encore tabou.
Quand j’étais plus jeune les enfants abandonnés je les ai vu sans les voir
Aicha Ech-Chenna – de son nom d’épouse – est née le 14 août 1941 à Casablanca, mère de 4 enfants et grand-mère. Elle est issue d’une famille traditionnelle, mais son grand père était un savant en théologie me fait-elle remarquer. A l’âge de trois ans et demi, elle perd son père et indique que c’est à ce moment-là qu’elle bénéficie d’une grande solidarité familiale puis environnementale. Dès son plus jeune âge, elle a été adoptée par les familles qui connaissaient son père. Alors que sa mère l’avait inscrite dans un premier temps à l’école marocaine, très vite son entourage décida de la mettre à l’école française, « les gens qui connaissaient mon père et qui m’avaient adopté dans un cadre social étaient des notables et mettaient leurs propres filles à l’école française, c’est donc tout naturellement qu’ils décidèrent de m’y inscrire. A l’école – déjà-, j’ai été sensibilisée de manière très douce à l’environnement et à la société et c’est en grandissant que j’ai appris à écouter cette société. Au sein de ma famille, j’entendais souvent ma tante dire qu’il ne fallait pas insulter les gens de « Ould el Haram » – bâtard– car l’enfant n’a jamais rien fait dans l’histoire et est simplement le fruit de la rencontre de deux personnes qui ont eu des relations – consenties ou non- . Grandir avec cette notion de non jugement de valeur est une bonne base dans la vie pour ne pas rejeter l’autre ».
De formation, Aicha Ech-Chenna a effectué une école d’infirmière et est devenue par la suite animatrice d’éducation sanitaire et sociale. Son expérience se fera également grâce à son investissement dans diverses associations. Dès 16 ans et demi, elle fut confrontée à la société marocaine et travailla entre autres dans des associations d’aide aux lépreux et tuberculeux, à la Ligue de Protection de l’Enfance ainsi qu’à l’Association Marocaine de Planification Familiale. Elle affirme ainsi avec le recul « que ce que l’on ne peut pas réaliser en tant que fonctionnaire de l’Etat avec un cadre fixe et des limites, on peut le réaliser dans un cadre associatif, où il y a plus de liberté ». « Une liberté responsable », reprend-elle.
L’intérêt qu’elle porte à la condition des mères célibataires et de leurs enfants, lui vient de son vécu. « Lorsque j’étais plus jeune les enfants abandonnés je les ai vu, mais sans les voir. Je n’étais pas suffisamment mûre pour comprendre leur détresse. A l’école d’infirmière on s’occupait déjà de ces enfants qui venaient de la « maison des enfants abandonnés. Ces enfants entraient par paquet et mourraient par paquet dans l’indifférence. Ceux qui ne mourraient pas à l’âge de 4 ans étaient transférés dans les orphelinats ».
Les pédiatres disaient d’ailleurs à l’époque, on nous les amène abimés on répare ce que l’on peut réparer, ils vont repartir et vont revenir abimés ».
C’est beaucoup plus tard, qu’elle saisira ce que cela signifiait, lorsqu’elle fut confrontée directement à la situation des orphelins qui vont lui parler de leurs détresses. C’est dans un orphelinat, qu’elle rencontrera une jeune orpheline: « Pendant que je lui parlais d’amour entre elle et les petits de l’orphelinat, elle me répondit, moi je ne connais que la haine ! On m’a appris la haine et je ne sais que donner la haine, je ne sais pas donner autre chose ». Beaucoup de psychiatres s’étaient intéressés à la souffrance de ces enfants, mais le chantier était beaucoup trop immense pour que quelqu’un n’ose y pénétrer.
Il n’y avait aucune réponse sociale à son problème, sa chance c’est que j’ignore la loi.
Lorsque je lui demande quels ont été les éléments déclencheurs à la création de la Solidarité Féminine, Aicha Ech Chenna me raconte en détails deux anecdotes qui l’ont à jamais marquées.
La première a lieu dans le cadre de l’association de planification familiale. Une jeune femme de 18/19 ans, enceinte de son 9e mois de grossesse vint à elle après avoir été jeté à la rue par sa mère, qui lui ordonna « de vider son ventre et de revenir une fois que cela sera fait ». Cette jeune femme est venue à l’association en pensant qu’il y avait une réponse sociale à son problème, sauf qu’il n’y en avait aucune. « Sa chance c’est que j’ignore la loi ». Aicha Ech-Chenna avec l’aide de deux autres femmes se sont solidarisées autour de cette femme en dehors du cadre légal du travail. Alors que l’une d’entre elle décide de l’accueillir chez elle, Aicha Ech- Chenna et sa consœur Marie Jean Teinturier se rendirent avec son accord chez les parents de la jeune femme. Elles sont accueillies par « une furie » qui leur ordonne de quitter la maison avant que son mari, policier, ne les tue si elles osent parler de « la maudite ». Pourtant, malgré l’annonce au père de la grossesse de sa fille, « l’homme qui était censé nous tuer, va se jeter dans les bras de sa fille et tous deux vont pleurer ». Aujourd’hui la jeune fille de la mère célibataire a bien grandi et est devenue médecin.
La seconde histoire marquera le déclenchement de la création de l’association Solidarité Féminine. En 1981, alors qu’Aicha Ech Chenna rentrait de congé de maternité, elle vit dans le bureau de sa collègue, une très jeune femme venue abandonner son enfant. A l’époque, il suffisait simplement aux mères, de se rendre chez les services sociaux, de laisser ses empreintes digitales et de signer l’acte d’abandon. Lorsque l’assistante sociale vint chercher le bébé, « celle-ci tira d’un coup sec le sein de la bouche du bébé, le lait va gicler sur le visage du bébé, il va crier et cette nuit je n’ai pas dormi, j’ai encore le cri de cet enfant dans la tête. Ce jour-là je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose ». « Cela fait partie de mon caractère, à un problème donnée, une réponse donnée en me demandant toujours ce que moi je peux faire mon niveau avant de demander ensuite de l’aide aux autres. J’ai donc appris le métier d’assistante sociale et découvert de plus près le drame des mères célibataires rejetées, exclues, punies et des enfants qui vivaient dans des conditions effroyables ».
La création de l’association : « quand vous êtes révoltée, vous trouvez d’autres femmes révoltées comme vous »
Marie Jean Teinturier, l’assistante sociale qui m’a appris le métier, était plus révoltée que moi sauf qu’elle ne pouvait pas parler, elle était chrétienne, française, elle avait peur. On décida ensemble d’aller vers la création de l’association Solidarité Féminine, pour aider les mères célibataires, mais pas seulement. Pour ne pas prendre de risque à l’époque, elles indiquèrent dans les statuts qu’elles souhaitaient « apporter de l’aide aux mères seules, veuves, divorcées, abandonnées et mères célibataires ». Les mères célibataires seulement en 4e position.
« Quand une maman arrive à l’association, elle est déstructurée, détruite, en souffrance, elle est seule, dans la rue. On dit d’elle que c’est une prostituée et elle voit souvent son enfant comme un «mouchkil », un problème. On a ainsi observé que certains bébés étaient battus voir fracturés ». Elle rajoute, « il faut alors l’accompagner pour qu’elle puisse avoir un toit, mettre son bébé à la crèche, pouvoir travailler et apprendre un métier via une formation professionnelle. Il faut également l’aider à se construire et se donner de l’estime. »
L’association intervient donc à deux niveaux. En son sein, un programme global de trois ans est mis en place pour les mères célibataires comprenant des cours d’alphabétisation en arabe et en français, des cours de sensibilisation aux droits civiques et des formations professionnelles (de la restauration à la coiffure en passant par l’esthétique et la couture, activités génératrices de revenus pour l’association). A l’extérieur de l’association, Solidarité Féminine a mis en place pour les mères célibataires, un accompagnement pour toutes les démarches administratives pour elles et leur enfant, pour l’insertion professionnelle mais aussi pour tout accompagnement psychologique à travers le centre d’écoute pour les femmes en détresse. Chaque année ce sont ainsi 50 mères célibataires qui intègrent le programme de formations de l’association à Casablanca et bénéficient du service de crèche leur permettant de jouir pleinement de leurs formations en journée pendant que leurs enfants sont pris en charge.
A l’époque, Aicha Ech-Chenna obtient alors le soutien du gouverneur qui fit venir la presse et lui permettra de mettre sur la place publique un sujet que la société rejette. Une prise de conscience qui entrainera le soutien de plusieurs bailleurs de fonds internationaux.
Un enfant né de la fornication est considéré comme bâtard
Aujourd’hui et ce depuis 2004, avec la réforme de la Moudawana, le code du statut personnel marocain, les mères célibataires peuvent déclarer leur enfant à l’Etat civil. Cependant il est déclaré avec un prénom présumé du père qui doit obligatoirement porter le préfixe « Abd » et en l’absence d’un nom de grand père sur l’acte de naissance, on comprend rapidement que l’enfant est né hors mariage. « Sans généraliser, dans certaines fonctions publiques, on n’admet pas qu’un enfant né hors mariage accède à certaines fonctions ».
On note qu’il existe encore des lois restrictives dans la jurisprudence mise en pratique par les tribunaux de hautes instances au Maroc. Ainsi l’article 446 de jurisprudence, indique « qu’un enfant né de la fornication, est considéré comme bâtard et doit rester bâtard, même s’il est par la suite reconnu pas son père biologique ».
Aujourd’hui l’INSAF (Institution Nationale de Solidarité avec les Femmes en détresse) indique que le nombre d’enfants nés en dehors du mariage est estimé à 153 par jour et qu’en moyenne ce sont 24 enfants par jour qui sont abandonnés.
Aicha, « la mère spirituelle de tous les petits bâtards de Casablanca »
Les difficultés rencontrées par Aicha Ech-Chenna, tout au long de son militantisme seront nombreuses. Si sur le coup de la colère, son mari lui lança un jour « mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour avoir comme épouse la mère spirituelle de tous les petits bâtards de Casablanca », elle s’empresse d’indiquer qu’elle a toujours été très soutenue par ses proches, mais qu’elle a dû faire preuve de beaucoup d’abnégation. Elle avouera également regretter de ne pas avoir passé plus de temps avec ses enfants, même si elle est convaincue de leur avoir tout donné. Elle conseille d’ailleurs aux mères travaillant dans le social, «de ne pas mélanger leurs enfants à des histoires très dures vécues au quotidien, ils peuvent ne pas comprendre ».
Tout au long des années, les obstacles n’ont eu de cesse de continuer à se mettre sur son chemin, «la société n’a pas toujours été facile pour moi. On me disait que j’encourageais la prostitution, certains ont même cherché à savoir si moi-même je n’étais pas une mère célibataire ». L’année 2000 sera marquée comme l’une des plus difficiles pour Aicha Ech-Chenna. En effet une fatwa fut émise contre elle. « J’ai été condamné dans les mosquées au Maroc, cela a été pour moi un drame, une souffrance extraordinaire, j’ai même voulu jeter l’éponge. C’était très lourd, tous ces jugements, ces inquiétudes, je suis passée par des dépressions et des souffrances terribles ».
« Mais avec le recul je dois aujourd’hui remercier ceux qui m’ont condamné », car cela a permis de déclencher une sortie médiatique au Maroc et un soutien royal. Aicha Ech-Chenna a ainsi été reçu par le roi qui lui ordonna de ne pas jeter l’éponge et cette même année le roi offrira 1 million de dirhams pour l’association Solidarité Féminine.
Une reconnaissance internationale.
Aicha Ech-Chenna est très fière de m’indiquer tous les prix reçus en son nom ou celui de l’association Solidarité Féminine. La liste est non exhaustive, mais on retiendra principalement les prix des Droits de l’homme de la République Française (1995), le prix Grand Atlas (1998), la médaille d’honneur reçu par le roi du Maroc Mohamed VI (2000), le prix Elisabeth Norgall (2005), la consécration avec le Prix Opus, remis avec chèque de un million de dollar à la clé. Aicha Ech –Chenna nous indique que l’Opus Prize, est l’équivalent du Nobel, dans le domaine associatif. Dernièrement, elle reçoit la légion d’honneur de la République Française (2013). Cette même année l’association publiera un recueil de témoignages des mères célibataires et de leurs enfants, dans « A Hautes Voix » (Editions Le Fennec), qui fait suite au premier livre de Aicha Ech-Chenna datant de 1996 (Miseria).
Elle remercie les médias, qui lui ont permis « de rentrer dans les familles marocaines, et de leur parler directement, cela a créé un débat et nous a donné une visibilité ».
Vivre dans une société musulmane
« Je suis musulmane et pratiquante et j’ai grandi dans un islam ouvert, rempli d’amour qui ne juge pas les autres. En tant que société musulmane, on ne devrait pas avoir de jugement de valeur, pour ceux qui pratiquent l’Islam, seul Dieu peut juger. Les musulmans qui veulent mettre en pratique les textes coraniques, ont intérêt à ouvrir leurs esprits et lire les textes de façon positive. Pour ceux qui ne veulent pas mettre la religion au service d’une cause, ils peuvent s’appuyer sur la Charte des Nations Unies comme valeurs universelles.
Le fait que les mères soient stigmatisées, s’explique par les mauvaises interprétations des textes sacrés et à l’éducation que l’on reçoit depuis la nuit des temps. Si on lit de façon positive les textes coraniques, on ne doit pas rejeter les mères célibataires, ni mêmes leurs enfants nés hors mariages.
Il est dit dans une sourate (ndlr Sourate 33 – Les Coalisés), Appelez-les par le nom de leurs pères (…) Mais si vous ne connaissez pas leurs pères, alors considérez-les comme vos frères en religion. Il n’y a pas de faute à vous reprocher, Dieu est Miséricordieux.
Les textes coraniques parlent même d’éducation sexuelle. Le prophète a reçu le premier verset coranique lu par l’ange Gabriel, Iqra, lis au nom de Dieu le Miséricordieux, qui t’a créé d’une cellule (ndlr sourate 96 – L’adhérence). Or, la cellule est composée de l’ovule et d’un spermatozoïde. Ainsi dans les textes religieux, on a tout ce qu’il faut pour servir une cause humaine, car Dieu est juste.
Un enfant exclu est un citoyen qui sera exclu de la société, qui va éprouver de la haine pour sa société, on a donc intérêt à créer un espace plein d’amour et continuer le travail de prévention, d’éducation et d’information.
Je ne suis pas féministe, je suis humaniste
« Est-ce que je suis féministe ? Non, je ne me considère pas comme telle, je suis une humaniste avant tout. Le féminisme est un cadre très restreint, tandis que lorsqu’on est humaniste, on est ouvert sur tout, la justice, la paix, l’environnement, le rapport à l’autre. On dépasse toutes les frontières et on est avec la société telle qu’on la vit, dans la justice et le respect de l’autre et cela sans jugement.
On peut être tout ce que l’on veut, mais si l’on ne sert pas une cause humaine, on aura passé sa vie dans un égoïsme
« Mon message aujourd’hui ? Ce que je pourrai demander aux jeunes, c’est qu’ils ont la chance d’avoir beaucoup, à portée de main, ils ont des capacités que nous on n’a pas eu. Internet peut être utilisé par les jeunes, comme moyen de construire une société plus juste et plus humaine. Je n’ai pas eu cette chance et les études universitaires m’ont beaucoup manqué. C’est peut être l’un de mes seuls regrets, de ne pas avoir continué mes études. Cela explique aussi d’où me vient cet amour pour les livres, mon addiction à l’achat des livres, de Victor Hugo avec les Misérables, à Marcel Pagnol qui abordait souvent la thématique des mères célibataires en passant par Ahmed Sefrioui avec La Boite à Merveilles et Aicha, de Marek Halter. Je continue à me construire en lisant et les jeunes doivent profiter de leurs études universitaires pour se construire. On peut être tout ce que l’on veut, mais si l’on ne sert pas une cause humaine, on aura passé sa vie dans un égoïsme.
J’ai fait une promesse à Dieu
Après 55 ans de militantisme et presque 30 ans de mobilisation pour l’association Solidarité Féminine, on peut se demander, d’où Aicha Ech-Chenna tient sa force pour continuer à agir. Elle me raconte alors la promesse qu’elle avait faite en 2007, lorsqu’elle eut un cancer. Elle a dans un premier temps refusé la maladie et un jour, seule, elle s’adressa à Dieu. « Moi la femme pauvre, je me mis à négocier avec le bon Dieu, je lui promets que sur le temps qu’il me reste à vivre, les ¾ seront réservés à passer le flambeau à d’autres qui vont continuer la mission de défense des droits des enfants nés hors mariage, et le quart restant sera pour moi et ma famille, c’est pour ça qu’aujourd’hui je suis devant vous, pour vous transmettre mon message ».
Sarah ZOUAK
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SALAM FIN KAYNA HAD LJAM3IYA
Bonjour Aicha,
Voici l’adresse de l’association : Association Solidarité Féminine 10 rue beit Lahm. Ex rue Mignard, Quartier Palmier, Maârif, 20340 Casablanca, Morocco
😉
Bien à vous,
Sarah
possible je veux le numero de telefon
Bonjour Malak, voici le contact mail que j’ai pour leur écrire: solfem@hotmail.fr
bonjour
Je connais une jeune fille agée de de 18 ans qui a été violée à l’âge de 14 ans aujourd’hui elle a un enfant de 2 ans sa situation est trés difficile, j’ai essayé partout pour l’aidé elle a besoin d’un avocat pour poursuivre la personne qui l’a violé en justice pour avoir l’argent pour sa fille et un travail pourriez vous m’aider je n’aimerais pas qu’elle intègre la prostitution elle est très jeune
Bonjour,
Voici les contacts de l’association Solidarité Féminine, ils pourront vous aider et vous dire quelles sont les démarches à suivre pour aider cette jeune femme.
+212(522254646)
+212(619111116)
Solfem@hotmail.fr
Bon courage à vous,